"Gallipoli : the scale of our war", Museum of New Zealand Te Papa Tongarewa de Wellington (Avril 2015 - Avril 2019)






Comment, pour une société démocratique du XXIème siècle, se souvenir de ceux qui sont morts à la guerre ? Comment transmettre à tous – concitoyens de toutes générations mais aussi visiteurs étrangers – la connaissance d’épisodes douloureux du passé ? La question est formulée simplement ici mais peu ont su y apporter une réponse satisfaisante et, partout où elle a pu être posée ouvertement (c’est-à-dire dans des sociétés suffisamment démocratiques), la réponse reste en chantier, malgré le temps qui passe, malgré les travaux des historiens, malgré les actes commémoratifs et officiels. 

D’une part car, c’est une évidence, il n’y a pas de regard neutre, unique et consensuel sur l’histoire ; d’autre part parce qu’histoire et émotion (je préfère ce terme large à celui de « mémoire » qui reste, au final, indéfinissable et conflictuel) ne peuvent être totalement dissociées quand il s’agit de commémorer, de se « souvenir ensemble » en particulier de moments douloureux. Par ailleurs, les commémorations officielles et les monuments aux morts réveillent certes, avec solennité, les sentiments d’appartenance à une communauté de destin et ravivent la solidarité collective mais ils ne sont pas là pour expliquer les faits ni pour éduquer. 

Le centenaire de la bataille des Dardanelles 

L’exposition commémorative sur la longue et meurtrière campagne de Gallipoli, Gallipoli : the scale of our war, montée par le Museum of New Zealand Te Papa Tongarewa de Wellington (Nouvelle-Zélande) à l’occasion du centenaire de la première guerre mondiale, à l’inverse, relève un triple défi : commémorer d’abord ; expliquer ensuite, transmettre, établir une distance historique ; mais aussi, et c’est là le troisième défi, laisser vivre la dimension émotionnelle du souvenir, la proximité d’avec les morts.

Le sujet était complexe et sensible puisque la bataille de Gallipoli (aussi appelée bataille des Dardanelles), longue de neuf mois (25 avril 1915-9 janvier 1916), a laissé derrière elle plus de 50 000 morts parmi les troupes alliées et plus 50 000 morts ottomans, et ce pour un impact sur le cours de la Grande Guerre difficile à estimer selon les historiens.

Pour l’Australie et la Nouvelle-Zélande, alors Dominions de la Couronne britannique, la campagne des Dardannelles a pris dès 1915 une signification particulière comme moment significatif et fondateur dans l’émergence d’une conscience et d’une identité nationales, et les morts des troupes de l’Anzac (Australian and New Zealand Army Corps) de la bataille de Gallipoli y sont solennellement commémorés chaque année depuis le 25 avril 1916, alors officiellement nommé « Anzac Day ».



Une scénographie mémorielle et historique remarquable

Une fois passée la porte d’entrée, le visiteur plonge dans un espace sombre, aux murs noirs. L’exposition prend les couleurs de la guerre : noir, gris poussière, terre, kaki, rouge sang, sépia, métal. Et là, on a le souffle coupé, face à la statue du le Lieutenant Spencer Wesmacott, au sol, arme à la main, l’œil bleu incisif, décidé, les traits crispés, la bouche ouverte, le corps en tension, dans un cri de guerre, prêt à tirer. La représentation est hyper-réaliste, agrandie 2,4 fois par rapport à la taille réelle, et fidèle dans les moindres détails : ongles abîmés et salis, gouttes de sueur, sang séché sur la main, peau sèche et rêche, iris bleu gris de l’œil rivé sur l’ennemi.

Ce sont ainsi huit protagonistes de la bataille de Gallipoli que le visiteur rencontre sur le terrain, huit vies humaines qu’il croise, leur histoire, leur regard, leur corporalité, leur humanité.
 
 
Statue de l'infirmière Lottie Le Gallais, pleurant son frère mort dans la bataille
Photo de l'exposition : http://gallipoli.tepapa.govt.nz 
Pour accompagner ces statues stupéfiantes réalisées par les studios Weta Workshop, l’exposition propose de très nombreux documents : récits factuels de la bataille, mois après mois, documents visuels (lettres, articles, photos…), documents sonores, objets d’époque, maquettes, etc.


Devant la statue du docteur et Lieutenant Colonel Percival Fenwick
Photo de l'exposition : http://gallipoli.tepapa.govt.nz
Comme par un effet d’écrasement du temps, le visiteur est amené à percevoir par l’entendement mais aussi par les sensations, ce que veut dire, à échelle d’homme, « faire la guerre », combattre neuf mois entiers sur un terrain aride, hostile, insalubre.  Ces hommes et cette femme infirmière qui sont représentés là, presque en chair et en os, ce sont nos semblables. De par leur grandeur (on l’a dit, 2,4 fois plus grands que leur taille réelle), ce sont aussi des figures qui nous dépassent métaphoriquement : ce qu’ils incarnent au-delà de la bataille sanglante menée alors aux côtés des forces alliées contre l’Empire ottoman, pour une certaine idée de la démocratie, c’est un courage immense, le don de soi pour des idéaux et peut-être, surtout, la terrible absurdité de la guerre.


Pour aller plus loin :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_des_Dardanelles, page consultée le 10 mars 2017

Une commémoration controversée:
«100ème anniversaire de labataille desDardanelles», Ambassade de France à Ankara, , page consultée le 10 mars 2017