Les dentellières de Burano
Dentelle, Gros point de
Venise (dentelle à l’aiguille), 2ème moitié du XVIIème siècle (©levaporettoblogue.blogspot.com)
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Sait-on qu’Athéna, célèbre déesse de la sagesse et de la guerre, était aussi patronne des travaux textiles, du filage, du tissage, de la tapisserie ou encore de la broderie ? Sait-on encore que la déesse à la chouette ne supporta pas le défi que lui lança la jeune tisseuse Arachné et encore moins la dextérité et l’effronterie dont fit preuve la jeune lydienne, qui osa l’affronter en confectionnant, c’était aller trop loin, une toile représentant les amours de Zeus ?
Mais si le
mythe nous raconte qu’Arachné fut finalement transformée en araignée par Athéna
courroucée, c’est bien qu’elle continue pour l’éternité de tisser des toiles
magnifiques et qu’il existe ici-bas, hors de l’Olympe, des êtres capables de
créer des choses dont la beauté offenserait le regard jaloux des Dieux. Les dentellières de Burano comptent
pour sûr parmi les descendantes de l’habile Arachné.
La petite dentellière, E. de Pury, 1897, copie,
Museo del merletto, Burano
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On raconte que ce n’est pas un hasard si
l’art de la dentelle s’est développé dès le XVème siècle à Burano, village de
pêcheurs où à la confection et la réparation de filets faisait alors partie de
la vie quotidienne. Aujourd’hui Burano, la ville aux murs colorés, est une
étape de la Venise touristique et dénaturée, mais le beau Museo del merletto
(Musée de la dentelle), situé dans l’ancienne école de dentelle de la ville,
permet au visiteur du XXIème siècle de suivre et de redérouler, le temps d’une
visite, le fil de histoire de la dentelle de Burano.
Derrière la dentelle de métal du musée, les ouvrages précieux des dentellières ©levaporettoblogue.blogspot.com |
Des origines
byzantines à l’engouement des femmes aristocratiques du XIXème siècle pour les
volutes blanches et légères comme de l’écume, en passant par le développement
de cet artisanat dès le XVème siècle sous l’égide de la dogaresse mécène
Giovanna Malipieri Dandolo puis de la dogaresse Morosini Grimani au XVIème
siècle, c’est un fantastique voyage esthétique et historique qui nous est
proposé.
Frans Pourbus, Portrait féminin, France, XVIIème siècle (Collection Correr) |
Giuseppe
Nogari, Portrait féminin avec crucifix et fleurs, Venise, XVIIIème siècle (Collection
Correr), détails
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Le bâtiment
est clair et spacieux, les objets sont mis en valeurs par les choix de
présentation : murs aux couleurs élégantes, tiroirs anciens que l’on ouvre
pour découvrir les précieux tissus, vidéo instructive, documents d’époque,
tableaux, tenues d’époque… l’œil amoureux d’histoire de la mode et des arts
s’en trouvera ravi.
Felice Schiavoni, Portrait de la baronne Angela Reinelt, Venise, XIXème siècle (Collection Correr, prêt de Ca’Pesaro) |
Mais qu’en
est-il aujourd’hui des doigts précieux des dentellières du Burano ?
Sont-ils toujours à l’ouvrage ? Malheureusement l’école de dentelle
ouverte en 1872 a fermé ses portes en 1970, concurrence industrielle et
impatience des temps modernes obligent. Car le travail des dentellières ne se
compte pas en heures mais en jours de travail… et parfois pour un même ouvrage,
plusieurs mains expertes sont requises selon les spécialités de chacune. Alors,
une fois les dernières dentellières disparues, de ce patrimoine immatériel – le
savoir-faire – ne restera bientôt plus que les traces matérielles, les bobines,
les aiguilles, les fuseaux et surtout les dentelles, non plus au col des
chemises vénitiennes mais derrière les murs de verre des musées, des boutiques
d’antiquaires ou peut-être dans les ateliers de la haute couture
internationale… si loin des lueurs magiques de la lagune.
Ancienne enseigne d’atelier de dentelle, Burano ©levaporettoblogue.blogspot.com |
Agoravox, article
instructif aussi sur l’histoire de la dentelle en France
Malpezzi Price Paola, Moderata Fonte: Women and Life in Sixteenth-century Venice, Fairleigh Dickinson, 2003