Plantes aromatiques, essences médicinales et agrumes.... voyage olfactif dans le Salento
Carciofi |
On parle souvent de la
gastronomie dans les livres de voyages, car la cuisine permet l’immersion
immédiate et facile dans une culture étrangère (pour autant que l’on s’éloigne
des axes touristiques où les goûts s’affadissent et perdent leur âme). Dans le
Salento par exemple, où je suis aujourd’hui, déguster une assiette
d’Orecchiette aux pousses de brocoli, une purée de fèves accompagnée de
chicorée braisée ou des cœurs d’artichauts sautés est plus efficace que la
lecture d’une étude ethnologique pour saisir l’importance du légume et de l’amertume dans la cuisine des Pouilles.
Au-delà de la gastronomie, ce
que l’on découvre au fil des voyages ce sont des mondes gustatifs, olfactifs et chromatiques qui résistent à la
globalisation des cultures.
Ainsi, quand je suis à l’étranger j’adore flâner dans les parfumeries et les drogueries pour sentir les odeurs
des parfums mais aussi ouvrir les flacons de gel douche, humer les savonnettes,
les lessives et découvrir qu’ici et là les univers olfactifs du quotidien sont
différents. Par exemple en Espagne, reviennent très souvent les odeurs ambrées, boisées, épicées, cuirées,
cirées, les odeurs de tabac, de santal, de jasmin, de musc, de fleur d’oranger…
les savons sont souvent bruns, verts, couleur miel. Tout cela dessine un
univers exotique, désuet et attirant pour le nez français que je suis, adepte
des odeurs florales légères, des couleurs claires ou pastel pour les
savons ; un univers déjà très proche de l’Orient arabe, comme l’Espagne
andalouse, dont l’emblème pourrait être le savon classique Maja de Myrurgia
(couleur savon d’Alep) et ses belles Sévillanes. Un univers corsé, animal qui
est aussi celui de la corrida, des chevaux, des gouttes de sueur sur le front
des danseurs et danseuses de flamenco.
L'Espagne dans un savon |
Vert et aromatique
Mais revenons aux Salento (dans
le talon de la botte italienne). Ici, c’est le royaume des herbes, des plantes et des pousses, des salades, des
légumes… c’est le royaume du vert (et la couleur verte est d’ailleurs très
présente dans les tissus, la décoration). Le vocabulaire de la parfumerie et de
la dégustation rattacherait clairement cet univers olfactif et gustatif à la
famille dite « aromatique » ou « agreste » (étymologiquement
« champêtre ») : la campagne est là tout près, les mers
ioniennes et adriatiques aussi, avec leur odoriférante végétation
méditerranéenne : myrte rouge,
romarin, thym, laurier, marjolaine, eucalyptus, menthe, mais aussi odeur
anisée du fenouil, odeur fraîche des salades charnues, des pousses d’épinard et des fleurs
de chicorée.
Résines et encens
A côté de ces fragrances
aromatiques, l’univers olfactif italien fait la part belle à un autre monde,
celui des apothicaires: résines
végétales aux vertus purifiantes (encens, myrrhe, benjoin) qui sont aussi
celles des encensoirs de ce pays au milliers d’églises ; bois odoriférants (patchouli, santal,
vétiver) ; odeurs poudrées,
comme la racine d’iris ;
macérations d’épices (cannelle, clou de
girofle, cardamome)… ce n’est pas seulement l’orient aussi qui émerge ici
(Byzance cette fois-ci), mais aussi la Renaissance et les gantiers parfumeurs
de Florence (cela nous rappelle un personnage du fascinant roman Le Parfum, de
Patrick Süskind).
L’histoire de l’Officina profumo-farmaceutica di Santa Maria Novella (aussi appelée Antica Spezieria di Santa Maria Novella) symbolise à merveille
l’enchevêtrement de l’histoire de la médecine, de la parfumerie et de l’église
en Italie et la prégnance des odeurs évoquées ci-dessus.
Catherine de Medicis, qui
introduisit en France la mode du gant parfumé, faisait élaborer son parfum
fétiche à base de bergamote - l’Acqua della Regina, l’Eau de la Reine - chez les
moines dominicains de Santa Maria Novella.
Le jardin des Hespérides
Citrus aurea, Bartolomeo Bimbi |
L’évocation de ce parfum royal
ouvre une autre voie majeure, celle des agrumes, de la famille dite
« hespéridée » en parfumerie, incontournable au royaume des sens
italiens depuis la création d’une collection d’agrumes en pot à Florence, dans
les jardins de Boboli, voulue par Cosme Ier de Toscane ou de Médicis : citrons, bergamote, cédrats, oranges en
tous genres suscitaient l’admiration et la curiosité des cours d’Europe pour
leur exotisme mais aussi leur valeur esthétique et décorative.(1)
Ce n’est pas un hasard si, en
1709, c’est un italien encore, Jean Marie Farina, qui créée l’Eau de Cologne aux notes
hespéridées et aromatiques.
Bouteille de Chinotto |
Mais au-delà de la parfumerie et
des eaux fraîches, les agrumes et
leurs couleurs jaune, orange, vert,
sont un élément majeur de l’univers gustatif, olfactif et chromatique italien.
Prenons l’exemple des boissons, nombreuses sont à base d’agrumes: limoncello, spremuta d’orange ou de
pamplemousse, granités au citron, limonades, orangeades, Campari, Apérol,
Spritz ou encore Chinotto, remis à l’honneur par la fondation Slow Food et dont
l’ingrédient premier est un agrume chinois du même nom.
Le voyage donc est visuel,
gustatif mais il est tout autant olfactif : s’immerger dans les parfums d’ailleurs est une formidable clé pour franchir la
porte de cultures encore inconnues.