Voyages sonores
Sur la route silencieuse. Etats-Unis, novembre 2017
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Après trois mois d’une épopée nord-américaine, je marche à nouveau sur la terre de l’ancien monde. Deux fois en deux ans que je pars très loin de la vieille Europe, du tracé sinueux de ses centres médiévaux, des façades majestueuses de la Renaissance, des excès baroques, des larges boulevards du XIXème siècle, des villes ployant sous le poids de la culture et des arts, comme des orangers chargés de fruits mûrs. Deux fois en deux ans que je languis l’atterrissage sur le sol d’Europe et que grandit l'envie de sortir et déambuler dans une ville, m’attacher aux détails d’un bas-relief, regarder le mouvement des corps, m’asseoir dans un café, sur une chaise de bois, au milieu de la rumeur de la foule insouciante, du claquement des verres sur les comptoirs de marbre, du chant des oiseaux à la fin du jour.
On ne mesure pas à quel point l’Amérique reste lointaine, jusque dans ses bruits. Dans les grandes villes des Etats-Unis c’est le flot continu de la circulation qui impose le rythme : fond sonore permanent des moteurs scandé par le déchirement d’une sirène ou le rugissement d’un bruit de machine. Et puis, quand les bureaux ferment, que les rideaux de fer des boutiques se baissent, le silence prend vite le dessus dans les rues désertées. On se couche tôt au pays des pionniers, sauf dans les villes noctambules, comme Las Vegas, où adrénaline et enfer du jeu maintiennent en vie hommes et machines à sous 24h/24, dans des espaces clos, hors-du-temps, saturés de moquettes, de lumières de néons, d’odeurs de cigarette (au Nevada, rien ne doit entraver la pulsion du gain), de froissements de billets verts, de cascades métalliques, de mélodies mécaniques.
Ombres et lumières nocturnes. Las Vegas, novembre 2017.
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A l’autre extrême, dans les espaces immenses de l’Amérique rurale, l’Amérique vide, c’est parfois l’absolue absence de bruit qui assaille l’oreille : au loin une baraque de bois, un chien couché, un gros pickup métallisé qui brille sous un ciel de plomb mêlé de platine liquide. Pas un souffle de vie humaine dans l’air, juste le craquement d’un insecte sur la terre sèche, le bruissement d’un oiseau du désert, les ondes du rayonnement solaire.
Silence étale de la Vallée de la mort. Etats-Unis, novembre 2017
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J’ai eu envie d’écrire ces
bruits… car comme les odeurs, les couleurs, les goûts ou encore les formes, les
bruits parlent des lieux.
A Séville, capitale andalouse
posée sur les rives du Guadalquivir (de l’arabe « al-wādi al-kabīr », الوادي الكبير, « le grand fleuve »), qui a jadis accueilli
en son sein les trois monothéismes, bruits d’Europe et d’Orient tissent encore
la trame sonore des quartiers historiques. Depuis la reconquête, ce n’est plus
le muézin qui chante au sommet de l’alminar
(«minaret» en espagnol), mais bien la cloche métallique de la
Giralda qui mesure le temps. Dans le majestueux centre, autour de la cathédrale,
du splendide Alcazar et de l’entrée des parcs, la musique des sabots des
chevaux sur les pavés résonne comme un prélude au claquement sec des pas des
danseurs de flamenco sur les scènes de bois usées par les chaussures de cuir
noir.
Dans les rues de l’ancienne ville médiévale, on se perd comme dans une médina. Des innombrables bars à tapas s’échappe toujours la même rumeur enjouée des groupes compacts qui débordent sur les trottoirs. On croise des musiciens, leur instrument sur le dos. Parfois quelques accords de guitare sèche, l’amorce d’un cante jondo, car on chante encore dans les rues de Séville. En cette période de Noël, on célèbre le très vénéré enfant-dieu par des chants joyeux improvisés en terrasse, accompagnés de battements vifs de mains. On croise des fanfares, des groupes de chanteurs venus des villages alentours qui unissent les générations. Là un tambour s’entraîne en rejoignant sa troupe, ici un enfant fredonne une mélodie. Et puis un homme passe, hurlant le numéro d’un billet de loterie, « el gordo de de navidad », véritable rituel hispanique.
Reflets gothico-mauresques sur le Guadalquivir. Séville, décembre 2017
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Dans les rues de l’ancienne ville médiévale, on se perd comme dans une médina. Des innombrables bars à tapas s’échappe toujours la même rumeur enjouée des groupes compacts qui débordent sur les trottoirs. On croise des musiciens, leur instrument sur le dos. Parfois quelques accords de guitare sèche, l’amorce d’un cante jondo, car on chante encore dans les rues de Séville. En cette période de Noël, on célèbre le très vénéré enfant-dieu par des chants joyeux improvisés en terrasse, accompagnés de battements vifs de mains. On croise des fanfares, des groupes de chanteurs venus des villages alentours qui unissent les générations. Là un tambour s’entraîne en rejoignant sa troupe, ici un enfant fredonne une mélodie. Et puis un homme passe, hurlant le numéro d’un billet de loterie, « el gordo de de navidad », véritable rituel hispanique.
Et l’on parle fort, pour faire son marché, il faut oser couvrir les cris des commerçants et des chalands qui se pressent, comme au temps jadis, pour acheter olives, fruits secs, poissons, légumes frais et fruits colorés ou pour se faire servir au comptoir un vin de Jerez râpeux au goût de noix, fendre la foule et surtout hausser la voix, comme Carmen la Sévillane, la cigarrera qui chantait « près des remparts de Séville, chez mon ami Lillas Pastia, j'irai danser la Séguedille, et boire du manzanilla».
Plaza de Monte-Sion. Séville, décembre 2017.
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