雪 - Un thé blanc Yin Zhen dans la neige - 雪


                 Le bruit du pot d'eau qui éclate
                (L'eau a gelé cette nuit) 
                Me réveille
                      Bashô


Du velours blanc s'est posé sur les plaines. Une lumière rose et pâle des matins de neige colore l’étendue poudrée

Claude Monet, La pie, 1868-1869

A travers le silence je vois que les pétales des fleurs se sont laissés surprendre par les flocons, un colibri virevolte derrière la dentelle du rideau. La course légère et agile de mon chat Yuki a dessiné une fine calligraphie sur la surface enneigée de la pelouse. 

Le brasero est allumé. L’eau de source frissonne dans la théière de fonte. Les aiguilles d’argent attendent au fond du gaiwan de porcelaine translucide. Je bois les deux premières infusions d’or clair en regardant le jardin de coton.

Se laisser envelopper par la douceur tranquille de ce paysage d’hiver.



La porte de bois grince, j’entends les ailes d’un oiseau fendre l’air bleu, puis mes pas sur la neige un peu dure qui se craquelle et caresse mes chevilles. Les rayons du soleil encore bas traversent la fine couche de glace qui s’est formée sur les branches nues du cerisier… l’arbre s’embrase.

Au creux de mes mains, la petite tasse ronde remplie de thé blanc me réchauffe. Je la porte à mes lèvres. Fugace sillage de musc et d’ambre, fragments de parfums de la veille. La liqueur soyeuse comme un tissu de kimono a un goût d’osier, de miel, de pêche blanche mêlé de pétales de rose.  Je m’attarde près d’un arbuste, observe le contour des feuilles ourlées d’argent, serties dans la délicate perfection des cristaux de glace. 

Hiroshige, Neige, Mariko, 1847-1850


Nota bene
- Yuki/雪 = "neige" en japonais/

- Un gaiwan (chinois simplifié : 盖碗 ; chinois traditionnel : 蓋碗 ; littéralement : « bol à couvercle ») est une tasse chinoise à couvercle servant pour les infusions et la consommation de thé. Le terme zhōng est aussi couramment utilisé. 
 

- «Aiguilles d’argent», traduction du chinois Yin Zhen : prestigieux thé blanc de la région du Fujian, déjà réputé sous la dynastie Song (960-1279 ad). Son appellation est une évocation des longs bourgeons vert pâle recouverts d’un fin duvet argenté qui le caractérisent.

- L’univers poétique de la neige est au cœur du premier roman de Maxence Fermine : Neige, Paris, Editions Arléa, 1999 (1ère édition)
« Chaque jour de neige, il prit l'habitude de sortir très tôt de la maison et de marcher en direction de la montagne. Il se rendait toujours au même endroit pour composer ses poèmes. Il s'asseyait en tailleur sous un arbre et restait ainsi de longues heures à choisir en secret les dix-sept plus belles syllabes du monde. Puis, lorsqu'il possédait enfin son poème, il le couchait sur un papier de soie.
A chaque jour un autre poème, une nouvelle inspiration, un nouveau parchemin. A chaque jour un paysage différent, une autre lumière. Mais toujours le haïku et la neige. Jusqu'à la nuit tombée. Il rentrait toujours pour la cérémonie du thé.» (Ibid., pp. 18-19)