L'être de lettres



Papyrus d'Hounefer. Pesée du cœur lors du jugement de l'âme.

Encore une homophonie qui nous saisit et éclaire le chemin de nos incessantes et inquiètes recherches. L’être civilisé, capable d’articuler une pensée complexe plutôt que de s’emparer d’une arme, est nécessairement un être de lettres.

Un être de lettres est un être de dialogues avec d’autres pensées que la sienne, parfois complexes, hermétiques, déroutantes ; un être de conversations avec des auteurs souvent disparus mais qui continuent de parler, de réveiller la vie, d’émouvoir, de faire exister les individus au sens premier du terme. Exister c’est, littéralement, « aller au-delà de l’être » (« ex-ister »), pour le transformer et faire advenir le meilleur peut-être.

Nous devenons des « êtres de lettres » car un jour on nous a mis entre les mains un crayon qui nous a permis de dire en dessinant, d’apprendre à former des lettres, à incorporer les gestes de l’écriture, trésor de l’humanité. 

Calligraphie du mot "hito" (espèce humaine, humain, Homme, en japonais)

Ma main est le geste de la lettre qui se dessine sur le papier, ma main est la lettre. Quand je trace la lettre A, je suis la lettre A, le taureau babylonien aux cornes inversées ; je suis l’œil et la source du O ; le serpent du S ; je suis l’Alpha et l’Omega, et bien plus encore. 

Dévoyer la langue, la simplifier toujours plus, la confier à des correcteurs zotomatiques, la négliger, la soumettre à de vils intérêts, à l’ignorance, à l’idéologie, c’est tuer lentement l’homo sapiens sapiens, celui qui sait qu'il sait.