Le Musée du gant de Millau

Les musées sont des écrins pacifiques pour les œuvres d’art de nos ancêtres ou de nos contemporains. Ce sont aussi souvent des espaces où perdure la dimension immatérielle de notre mémoire collective et des savoir-faire d’antan. Comme toujours, le vocable nous parle et nous dit qu’artiste et artisans ont en commun les trois lettres A-R-T. A Millau, le Musée du gant illustre parfaitement ce point de rencontre entre art et artisanat. Le gant est à la fois produit d’un savoir-faire technique mais aussi création, dessin, projet esthétique.
Pas étonnant que ce pays de brebis et de moutons qui estivent sur les plateaux des Causses balayés par les vents, ait donné naissance, là, dès le XIème siècle, à une industrie reposant sur le travail de la peau (n’oublions pas que c’est aussi le pays du Roquefort et de la laine…).


Remontons le fil des mots : dès 1268, le mot « mégisseur » est attesté et désigne celui qui mégit les peaux c’est-à-dire celui qui les tanne dans un bain d’eau, de cendre et d’alun, le « mégis » de l’ancien français « mégier » du latin « medicare » soit « préparer avec des drogues ».

S’il faudra attendre le XVIème siècle pour que le gant prenne véritablement ses lettres de noblesse, il existe dès l’antiquité où il protège du froid. Au moyen-âge il est utilisé par les hommes pour des occupations précises : le travail, le combat et la parade. Il devient une composante rituelle du sacre royal et de l’habit liturgique et, au-delà de l’objet qui protège, il fait figure de symbole : il est signe d’autorité, d’étiquette et de déférence.
La dimension symbolique de l’accessoire et la demande émanant des lieux de pouvoir (la noblesse et l’église) ont certainement joué un rôle moteur dans le développement de l’industrie du gant.
Le gant... un luxe
Comme nous l’apprend le musée au fil de la visite, c’est au XVIème siècle que le gant fait son entrée dans la mode, masculine et féminine. Orné de broderies d’or, d’argent, de perles ou de pierres précieuses, il devient un objet de luxe. Rappelons que c’est aussi l’époque de l’émergence de la parfumerie et des gantiers-parfumeurs vénitiens... et l'on connaît la passion de François 1er pour l’Italie !

Le gant évolue au fil des modes et des régimes : parfumé à la Renaissance, raffiné au XVIIème siècle, sobre au XVIIIème, éclipsé sous la Révolution, de nouveau adulé sous le Directoire…

Sous le Premier Empire, l’impératrice Joséphine lance la mode du gant long… qui ne laisse apparaître qu’un sensuel bout de chair, entre la manche et le gant.

Le gant... un must
En 1858, l’ouverture à Paris, par l’anglais Charles F. Worth, de la première « Maison de couture », avec ses mannequins vivants alors appelés « sosies » révolutionne le monde de la mode.
Le gant devient vite un accessoire indispensable de la femme qui s’habille et, partant, un objet à haute valeur esthétique. Les gantiers rivalisent d’excellence pour satisfaire une clientèle exigeante et aisée ; en 1939 Paris ne compte pas moins de 130 maisons de couture… et leur clientèle est française, européenne mais aussi américaine.
Le gant s’exporte à Hollywood et devient symbole de féminité et de sensualité. Rappelons-nous le numéro de chant Rita Hayworth dans Gilda (1946) qui, en ôtant ses gants, électrise la salle. En France, en 1960, Jean Seberg porte encore des gants blancs dans A bout de souffle.

Au-delà des aspects anthropologiques, culturels et esthétiques de l’histoire du gant, le musée de Millau nous donne à voir une l’histoire des corps de métiers qui composaient jadis l’industrie du gant, des hommes et des femmes qui fabriquaient le gant en coulisses : témoignages écrits, sonores, audio-visuels ; affiches publicitaires ; registres d’atelier ; reconstitution d’un atelier de couture… une foule d’information est présentée au visiteur pour qu’il saisisse le rôle central qu’a joué cette industrie dans l’économie de la région. Et ce, jusqu’aux années 1960-1970, période où la rude concurrence de la production du sud-est asiatique et le recul progressif de la mode du gant affaiblissent l’industrie millavoise. C’est le début de la lente désintégration du monde dont la mémoire repose dans ce musée.
Quelques chiffres
Epoque romaine : aux Ier et IIème siècles, Contadomagus ( condat(e) = confluent et magus = marché/champ/plaine), qui jouxte la ville actuelle de Millau, est un centre majeur de production de poterie sigillée (le site est aujourd’hui connu sous le nom de Graufesenque).
1193 : mention d’un peaussier à Millau. La présence abondante de l’eau du Tarn favorise probablement la naissance d’une industrie peaussière dans la région.
1685 : la ville compte 11 mégissiers, 5 gantiers, 1 tanneur.
1800 : Millau peut s’enorgueillir de 20 ateliers de mégisserie, 20 gantiers (et 15 fabriques de chapeaux).
1821 : Millau exporte ses gants en Amérique, comme sa concurrente, la ville de Grenoble.
1920-1930 : la petite cité envoie 300 000 douzaines de paires de gants destination : Etats-Unis, Canada, Danemark, Suède, Belgique et divers pays d’Amérique du Sud.
1931 : la production de Millau dépasse celle de Grenoble.
1963 : Apogée avant…
1964 : la rude concurrence de la production du sud-est asiatique et le recul progressif de la mode du gant affaiblissent l’industrie millavoise. C’est le début de la lente désintégration du monde du gant.
2001 : Millau compte encore 5 mégisseurs, 5 gantiers et 5 tanneurs qui emploient 350 personnes.

Nota bene
Le mégissier prépare et transforme les petites peaux (agneaux, moutons, chèvre) alors que le tanneur travaille les grandes peaux brutes (vaches, veaux, chevaux).