Les mots, muets ?
J’ai
découvert il y a peu l’écriture de Sylvain Tesson. Au bord du lac Baïkal, dans une
cabane prise entre ciel et glace.
« Le ciel a saupoudré la Taïga. La poudreuse veloute le vert-de-bronze des cèdres. Forêt d’hiver : fourrure d’argent jetée sur les épaules du relief. Les vagues de la végétation couvrent les pentes. Cette volonté des arbres de tout envahir. La forêt, houle lente. A chaque pli du relief, l’albumine des houppiers s’assombrit de traînées noires.
« Le ciel a saupoudré la Taïga. La poudreuse veloute le vert-de-bronze des cèdres. Forêt d’hiver : fourrure d’argent jetée sur les épaules du relief. Les vagues de la végétation couvrent les pentes. Cette volonté des arbres de tout envahir. La forêt, houle lente. A chaque pli du relief, l’albumine des houppiers s’assombrit de traînées noires.
Pourquoi les hommes adorent-ils davantage les chimères abstraites que la beauté des cristaux de neige ? » (1)
Je
constate avec amusement qu’un tesson est aussi un « éclat de verre
particulièrement pointu » : Tesson choisit ses mots comme des tesselles,
dans ce carnet d’exil, pour composer une mosaïque littéraire et tracer une
expérience existentielle, poétique et incroyablement incarnée. Je suis de ces lecteurs
qui apprécient les « auteurs à mots », ceux pour qui un mot est un mot
et pas un autre, pour qui nommer les choses est un acte important, pour qui le mot
n’est pas une simple enveloppe mais un puissant réservoir de sens, d’images, d’histoire,
d’esthétique, de sons.
« Mal
nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde. » écrivait Albert
Camus en 1944. Certes, mais bien les nommer est une autre paire de manches, une
gageure, un apprentissage, une philosophie, un parti pris. Peser ses mots, voilà
peut-être le défi le plus important auquel nous confronte, plus que jamais, la
société internet au sein de laquelle les mots sont balancés, éclatent
anarchiquement, bulles de savons irisées, vides, vaines.
Morts-vivants, les mots maltraités dépérissent et errent, faméliques, sur nos écrans. Popcorns fluorescents mâchouillés sans plaisir.
Morts-vivants, les mots maltraités dépérissent et errent, faméliques, sur nos écrans. Popcorns fluorescents mâchouillés sans plaisir.
Si un fossé sépare le langage de la vie intérieure, des émotions, de la pensée,
si le langage n’est souvent qu’un truchement maladroit pour formuler ce
que nous aimerions dire, je suis résolument, intimement, attachée aux mots. C’est justement cette incomplétude de la langue qui fait sa richesse, nous pousse
à chercher le terme juste malgré/avec les dictionnaires.
J’ai
voulu, pour avancer sur cette piste, rechercher l’étymologie du mot « mot ».
Sérendipité oblige, j’ai découvert que son origine est « obscure »
comme disent les lexicologues mais, plus encore, qu’il signifierait, à l’origine,
à la fois une chose et son contraire – c’est très souvent le cas en hébreu
biblique.
« Mot » viendrait ainsi du « verbe latin muttire [qui] indique généralement la production d'un discours inarticulé et/ou incohérent : au sens propre, muttire, c'est dire « mu », soit grogner comme un bovin. Toutefois, il définit également le contraire, soit la formulation d'un énoncé articulé. Dès son origine, le mot se trouve chargé d'une tension sémantique et tiraillé entre deux significations contradictoires. Jusqu'au XIIème siècle, la première signification l'emporte : l'usage de muttum ou de mu est exclusivement péjoratif. Progressivement, la notion se neutralise et devient un simple qualificatif linguistique.» (2)
Hasard, facétie de la langue ou subconscient linguistique, j’ajouterais pour conclure que « muttus » est aussi un homophone et, à un « t » près, un homographe de « mutus », c’est-à-dire « muet ».
« Mot » viendrait ainsi du « verbe latin muttire [qui] indique généralement la production d'un discours inarticulé et/ou incohérent : au sens propre, muttire, c'est dire « mu », soit grogner comme un bovin. Toutefois, il définit également le contraire, soit la formulation d'un énoncé articulé. Dès son origine, le mot se trouve chargé d'une tension sémantique et tiraillé entre deux significations contradictoires. Jusqu'au XIIème siècle, la première signification l'emporte : l'usage de muttum ou de mu est exclusivement péjoratif. Progressivement, la notion se neutralise et devient un simple qualificatif linguistique.» (2)
Hasard, facétie de la langue ou subconscient linguistique, j’ajouterais pour conclure que « muttus » est aussi un homophone et, à un « t » près, un homographe de « mutus », c’est-à-dire « muet ».
(1)
Sylvain Tesson, Dans les forêts de
Sibérie, coll. « Blanche », ,
270 p.
(2) Marc Baratin, Barbara Cassin, Irène Rosier-Catach, Frédérique Ildefonse, Jean Lallot et Jacqueline Léon, « Mot », dans
Barbara Cassin (dir.), Vocabulaire
européen des philosophes, Seuil, coll. « Le
Robert », , p. 83
Pour aller plus loin - à
utiliser sans modération
https://www.lexilogos.com/index.htm
(mine d’or linguistique)
http://stella.atilf.fr/ (Trésor de la Langue
Française informatisé)
Illustrations
Pour accompagner ce texte, j'ai choisi des tableaux de Cy Twonbly, à la lisière de l'écriture.
http://www.cytwombly.org/biography
Plus d'informations sur l'artiste en allant sur la page suivante :
https://www.artsy.net/artist/cy-twombly/cv
Plus d'informations sur l'artiste en allant sur la page suivante :
https://www.artsy.net/artist/cy-twombly/cv