Où mon Vaporetto s’arrête sur le rivage



Cela fait un an que j’ai commencé à écrire des textes à bord de mon Vaporetto. L’inspiration ne se tarit pas et c’est heureux ! Cela m’a fait penser ce matin à Haruki Murakami, l’écrivain coureur de fond, car écrire, si l’on s’y astreint avec régularité, c’est aussi se lancer le défi d’un marathon infini ou mieux d’une longue marche au cœur de paysages intérieurs.


Les livres, on les feuillette, on les parcourt, on s’y perd, on s’y plonge, on les déteste, on les adore. Il y a aussi les livres qui vous changent intimement, produisent un électrochoc et qui, comme par magie, dévoilent une strate du réel insoupçonnée… un peu comme dans un rêve. C’est l’effet qu’a eu sur moi, il y a quelques années, la lecture de Kafka sur le rivage, roman de l’écrivain japonais Haruki Murakami. Même si l’on aimerait accéder au texte original, la traduction est ici un formidable vecteur de l’étrangeté du monde de Kafka (le personnage principal), une étrangeté très japonaise, très lointaine, très attirante. L’expérience de l’exotisme littéraire nous a fait ici entrevoir et ressentir une infime partie de l’imaginaire japonais, du génie de sa langue, de sa façon de nommer le monde. Et c’est déjà immense. 

Armure de Daimyo - Musée Guimet

J’avais déjà éprouvé, d’une autre façon, lors d’un court séjour au Japon, les effets puissants du décentrement, de l’immersion dans un exotisme total. J’étais sortie me promener sur les berges du fleuve qui traverse la ville de Kyoto. Enveloppée dans la chaude moiteur de ce soir d’été, j’étais entrée dans une grande épicerie, si éclairée que j’avais dû plisser les yeux. Je me souviens des pommes, chacune emballée dans un petit filet de mousse blanche.  J’avais acheté une glace au thé vert que je mangeais en déambulant le long de la rive, guidée seulement par les reflets des lumières des lampions et des néons – roses, rouges, dorées, vertes. Je me souviens du puissant goût du matcha mêlé à celui de la vanille sucrée, de ce mélange si particulier de douceur gourmande et d’astringence verte et végétale

Et puis, soudain, sans raison apparente, j’avais eu peur. Sans repères, sans connaissances, dans ce monde nocturne, humide, lointain. Peur de me perdre. J’avais rebroussé chemin pour retrouver ma minuscule chambre d’hôtel et sa salle de bain de plastique beige.

Je garde de ce voyage au Japon l’impression d’un ailleurs absolu, un monde autre, parallèle, au sein duquel, par un étonnant phénomène d’harmonie spontanée, tout – les chats, les biches, les arbres, les fleurs, les montagnes, les poissons, les sources… - se teintait des mêmes caractéristiques esthétiques, d’une même beauté insaisissable, intraduisible.


Calligraphie japonaise (www.cinemathequedegrenoble.fr)