Aborigènes d'Australie : Jabiru





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Au loin, le parc de Kakadu ou la terre d'Arnhem


J’ai eu la chance de percevoir une infime partie de ce qui appartient encore aux aborigènes dans les territoires protégés. Protégés de quoi ? De la culture blanche aux yeux bleus, anglophone, chrétienne, monothéiste, industrielle, capitaliste qui a débarqué sur leur terre il y a si peu de temps au regard des dizaines de milliers d’années de leur présence sur ces terres des antipodes. 
Nous avons pu accéder à un village aborigène, un matin. Les bus a traversé des kilomètres de terre rouge et puis nous avons aperçu les premières maisons aux toits de tôle ondulée. Si je n’avais pas su où je me trouvais, j’aurais pu dire que nous arrivions dans un village d’Afrique. Le long de la route de terre, il y avait des chiens sans collier. Près des maisons, des enfants pieds nus nous regardaient passer. Le guide nous a amené à un centre d’art communautaire, des hommes y peignaient sur une grande table de bois, il y avait là tout un fatras de ferraille ; jouxtait un bel atelier de tissage essentiellement réservé aux femmes. L’une d’elle nous a montré comment tisser la paille pour en faire des tapis. Car les aborigènes n’utilisaient pas le cuir et c’est essentiellement du monde végétal qu’ils tiraient la matière pour confectionner habits, tissus, objets du quotidien.
Puis deux guides aborigènes, un ancien et un jeune, nous ont amenés voir les peintures rupestres de leur communauté. Contrairement au peintures dites « d’art aborigène » vendues à prix d’or par les galeries mondialisées réservées aux touristes et en tout cas aux occidentaux, le « rock art » est véritablement une forme d’expression importante des cultures aborigènes : certains dessins, profanes, relatent des récits de chasse, tracent des cartes leur permettant de s’orienter et de connaître les territoires, de trouver les sources d’eau ; d’autres dessins – soumis à l’interdit photographique – ont un statut sacré et indiquent la présence d’esprits ancêtres bienveillants ou maléfiques. Les offenser peut être dangereux et source de malheurs. On voit bien combien le terme d’« art » est discutable voire impropre. 
Nous avons mangé nos sandwichs sous un auvent de pierre rouge et devant nous s’étendaient la plaine, la forêt et les rivières. Oubliant la circonstance, je me suis laissée absorber par ce paysage infini et d’une beauté sublime. J’ai imaginé les ancêtres de nos guides arpenter ces terres pour chasser oiseaux, crocodiles, kangourous, il y a à peine un siècle encore. Et j’ai aussi imaginé la chasse avant l’arrivée du fusil qui a perturbé la relation de l’homme à l’animal. Le fusil a donné naissance à une chasse injuste, ingrate voire gratuite quand elle est le fait d’hommes cruels ou avides. 
Le guide le plus âgé nous regardait un peu moqueur de ses yeux vert olive et dorés, fumant sa cigarette sur un rocher un peu éloigné du groupe. « You can take a picture » ne cessait-il de dire, « I know you like taking pictures ». Absurdité de ces touristes scotchés à leur appareil photo, cherchant à capter l’éternité, à capturer l’immortalité ou tout simplement à enfermer la vie dans des photographies alors que nous sommes poussières d’étoiles, descendants de l’autruche, du serpent ou de l’oiseau. 
Et tout le long de la marche, les deux guides se sont parlé dans leur langue, ils riaient beaucoup. Mais, contrairement à leurs frères et sœurs croisés dans les villes, ils nous regardaient, franchement, fixement même, et semblaient heureux de soulever le voile pour nous montrer une minuscule partie de la culture complexe et riche dont ils sont les fiers gardiens.


Post-scriptum pour Jean Malaurie

Je voudrais rendre hommage ici à l'anthropologue explorateur Jean Malaurie, dont la parole est si précieuse et dont le récit qu'il fait de sa campagne de l'Arctique auprès des Inuits du grand Nord en 1950-1051, m'a considérablement aidée à appréhender la situation des aborigènes d'Australie.