Aborigènes d'Australie : Jabiru
©levaporettoblogue.blogspot.com
Au loin, le parc de Kakadu ou la terre d'Arnhem |
J’ai eu la chance de percevoir une infime partie de ce qui appartient encore aux aborigènes dans les territoires protégés. Protégés de quoi ? De la culture blanche aux yeux bleus, anglophone, chrétienne, monothéiste, industrielle, capitaliste qui a débarqué sur leur terre il y a si peu de temps au regard des dizaines de milliers d’années de leur présence sur ces terres des antipodes.
Nous avons pu accéder à un village aborigène,
un matin. Les bus a traversé des kilomètres de terre rouge et puis nous avons
aperçu les premières maisons aux toits de tôle ondulée. Si je n’avais pas su où
je me trouvais, j’aurais pu dire que nous arrivions dans un village d’Afrique.
Le long de la route de terre, il y avait des chiens sans collier. Près des
maisons, des enfants pieds nus nous regardaient passer. Le guide nous a
amené à un centre d’art communautaire, des hommes y peignaient sur une grande
table de bois, il y avait là tout un fatras de ferraille ; jouxtait un
bel atelier de tissage essentiellement réservé aux femmes. L’une d’elle nous a montré
comment tisser la paille pour en faire des tapis. Car les aborigènes
n’utilisaient pas le cuir et c’est essentiellement du monde végétal qu’ils
tiraient la matière pour confectionner habits, tissus, objets du quotidien.
Puis deux guides aborigènes, un ancien et un
jeune, nous ont amenés voir les peintures rupestres de leur
communauté. Contrairement au peintures dites « d’art aborigène »
vendues à prix d’or par les galeries mondialisées réservées aux touristes et en
tout cas aux occidentaux, le « rock art » est véritablement une forme
d’expression importante des cultures aborigènes : certains dessins,
profanes, relatent des récits de chasse, tracent des cartes leur permettant de
s’orienter et de connaître les territoires, de trouver les sources d’eau ;
d’autres dessins – soumis à l’interdit photographique – ont un statut sacré et
indiquent la présence d’esprits ancêtres bienveillants ou maléfiques. Les
offenser peut être dangereux et source de malheurs. On voit bien combien le
terme d’« art » est discutable voire impropre.
Nous avons mangé nos sandwichs sous un auvent
de pierre rouge et devant nous s’étendaient la plaine, la forêt et les
rivières. Oubliant la circonstance, je me suis laissée absorber par ce paysage
infini et d’une beauté sublime. J’ai imaginé les ancêtres de nos guides
arpenter ces terres pour chasser oiseaux, crocodiles, kangourous, il y a à
peine un siècle encore. Et j’ai aussi imaginé la chasse avant l’arrivée du fusil
qui a perturbé la relation de l’homme à l’animal. Le fusil a donné naissance à
une chasse injuste, ingrate voire gratuite quand elle est le fait d’hommes
cruels ou avides.
Le guide le plus âgé nous regardait un peu
moqueur de ses yeux vert olive et dorés, fumant sa cigarette sur un rocher un
peu éloigné du groupe. « You can
take a picture » ne cessait-il de dire, « I know you like taking pictures ». Absurdité de ces touristes
scotchés à leur appareil photo, cherchant à capter l’éternité, à capturer
l’immortalité ou tout simplement à enfermer la vie dans des photographies alors
que nous sommes poussières d’étoiles, descendants de l’autruche, du serpent ou
de l’oiseau.
Et tout le long de la marche, les deux guides
se sont parlé dans leur langue, ils riaient beaucoup. Mais, contrairement à
leurs frères et sœurs croisés dans les villes, ils nous regardaient,
franchement, fixement même, et semblaient heureux de soulever le voile pour
nous montrer une minuscule partie de la culture complexe et riche dont ils sont
les fiers gardiens.